Tensions entre l’Algérie et la France : le dessous des cartes

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Le jeudi 30 septembre 2021, le Président de la République a reçu à l’Elysée une vingtaine d’étudiants et étudiantes dont les parents sont nés en Algérie. Cette réunion en présence de Benjamin Stora s’inscrivait dans la suite de son rapport.  Des étudiant-e-s ont interpellé le Président sur les torts de la France coloniale reprenant le discours officiel algérien.

 Le Président français a répondu sans langue de bois. Il a souligné ce que tous les connaisseurs de l’Algérie savent, pointant « une histoire officielle totalement réécrite » par Alger qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».

Les dirigeants algériens s’en sont aussitôt offusqués, rappelant leur Ambassadeur à Paris et allant même jusqu’à interdire le survol de leur territoire par les avions militaires qui approvisionnent au Mali les soldats de l’opération Barkhane.

En réalité le Président Macron n’a fait que dire des évidences connues de tous mais qu’une frange du pouvoir algérien continue de refuser car l’instrumentalisation de l’histoire depuis 60 ans leur est indispensable pour détourner l’attention du peuple algérien de la gestion déplorable du pays, bien loin des idéaux de la révolution. Une caste s’est en effet accaparée pouvoir et richesse, avec une corruption répandue et la liberté d’expression muselée.

En fait, les Algériens savent que les propos du Président français sont vrais. Ils sont davantage gênés par la réduction du nombre de visas. A ce sujet, le gouvernement algérien devrait être interpellé par le fait que la majorité de sa population rêve de quitter son pays pour aller vivre chez l’ex colonisateur !  Une certaine logique voudrait d’ailleurs que les visas soient accordés en priorité aux enfants d’anciens harkis restés en Algérie et victimes de discriminations.

Quant au refus du survol de son espace aérien par les avions militaires français, la raison en est d’abord la tension sur le rôle de l’armée algérienne dans la stabilité de cette région subsaharienne. La France souhaite  réduire ses effectifs et être remplacée par l’armée algérienne qui se refuse à le faire craignant d’apparaître comme alliée de l’ex puissance colonisatrice dans un pays africain.

Des tensions entre l’Algérie et la France il y en a régulièrement depuis un demi-siècle.  En 1976 déjà,  un enfant d’ancien harki parti en Algérie avec sa mère avait été interdit de retour. En réaction, des membres d’une association d’anciens Harkis avaient  alors pris des immigrés algériens en otage pour exiger le retour  de l’enfant. 

Le 16 juin 2000, le Président Bouteflika, en visite officielle à Paris insulte les Harkis et donc la France lors d’une interview sur une chaîne de télévision publique. Un an plus tard, le 25 septembre 2001, le Président Chirac rend hommage aux Harkis et parle  de la « barbarie » des massacres en Algérie après l’indépendance.

En 2005, un article de  loi  évoquant « l’œuvre positive de  la France en Algérie » suscite des remous et conduira à annuler un traité d’amitié annoncé.

En janvier 2020, le  rapport Stora  demandé par le Président Macron pour réconcilier toutes les mémoires de la guerre d’Algérie enflamme les passions au lieu de les apaiser. En France comme en Algérie, il est violemment rejeté.

En mai 2020, l’ambassadeur algérien à Paris est rappelé après la diffusion d’un documentaire par deux chaînes publiques françaises sur les manifestations pro-démocratie (Hirak) en Algérie.

Ce rapide rappel montre que la tension algéro-française de cette semaine n’est pas la première et probablement pas la dernière en raison d’une relation ambivalente entre l’Algérie et la France, née de la colonisation et de la guerre d’indépendance.

Le Président Macron a fait beaucoup de gestes prouvant sa volonté d’assumer toutes les pages de notre histoire afin de ne pas laisser les non-dits ou mensonges sur le passé empoisonner le présent et l’avenir : déclaration sur la colonisation « crime contre l’humanité », restitution de cranes d’Indigènes tués lors de la conquête, reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel, commande du rapport Stora, etc.   Le Président recherche l’apaisement par la vérité historique car les deux pays ont, tous les deux,  un intérêt à avoir des coopérations fortes sur les plans économiques et stratégiques, notamment dans la lutte anti- terroriste.

Pour l’instant, des gouvernants algériens issus du FLN  ne sont pas encore prêts à porter un regard lucide et critique sur l’histoire de la guerre d’Algérie, car sa réécriture sert à légitimer leur pouvoir. Mais avec le temps et leur disparition, les nouvelles générations, plus libres vis-à-vis du passé, privilégieront l’avenir et accepteront une histoire factuelle avec ses pages glorieuses et ses pages sombres. Comme l’a écrit Zola, « quand la vérité est en marche, rien ne l’arrête ».