Intervention de Mohand Hamoumou, Président d’AJIR, au Congrès national du Souvenir Français lors de sa séance de clotûre du samedi 28 septembre 2024.

Monsieur le Sénateur, Monsieur le Député,

Mesdames et Messieurs les officiers généraux, officiers et sous-officiers en vos grades et qualités

Monsieur le Président national du Souvenir Français, Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents de délégations du Souvenir Français Mesdames Messieurs, Chers amis,

Tout d’abord merci monsieur le Président du Souvenir Français, cher Serge, pour ton invitation amicale à prendre la parole en ce lieu chargé d’histoire, devant cette honorable assemblée.

Parler à l’Ecole militaire, des Harkis, eux qui furent de valeureux soldats sans statut militaire, est pour moi un honneur. Et pour eux un hommage.

Je vous propose d’aborder 3 points :

  • Une présentation de l’association AJIR
  • Un rappel de son combat pour la juste réparation due aux anciens Harkis et leurs familles.
  • Ses actions dans le champ de la Mémoire, dont un projet d’une fondation et des partenariats avec le Souvenir Français

1- AJIR pour les Harkis (Association Justice Information Réparation) a été créée à Clermont Ferrand en 1998, à partir de la fusion de trois associations existantes depuis vingt ans et qui se sont dissoutes pour n’en faire qu’une seule. En 2000, avec André Wormser, Mohamed Haddouche et d’autres amis, nous en avons fait une fédération nationale rassemblant une quinzaine d’associations. J’ai présidé AJIR durant 4 ans et je n’en ai repris la présidence qu’en 2021 étant plus disponible ayant cessé mes fonctions de maire et mis un terme à ma carrière professionnelle.

AJIR est aujourd’hui l’association la plus importante et une des rares associations d’envergure nationale. Elle fédère 43 associations ou délégations et compte plus de 2800 adhérents répartis dans 54 départements.

Son emblème est un olivier, arbre iconique de la méditerranée, symbole de ténacité qui lui permet de prendre racine même sur des terres ingrates.

Les objectifs d’AJIR n’ont pas varié depuis sa création.

D’une part obtenir une réparation digne de ce nom et d’autre part œuvrer à la connaissance de l’histoire des harkis.

2- Le combat pour la réparation

Trop longtemps les aides versées aux anciens Harkis vivant en métropole étaient du registre de la solidarité nationale.

AJIR s’est battu pour un changement de paradigme : passer de la solidarité à la justice. Ce qui implique la reconnaissance officielle de l’abandon, l’évaluation des préjudices puis leur réparation. AJIR a joué un rôle majeur dans l’obtention de la loi du 23 février 2022. Cette loi s’engageait enfin dans une logique de réparation après avoir reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’abandon des Harkis en 1962, et avoir reconnu aussi les préjudices liés au délaissement des Harkis rapatriés dans des camps insalubres.

Cette loi est sur le plan symbolique une avancée très importante. En pratique, par souci de faire vite et simple, cette loi a mis la charrue avant les bœufs en fixant des montants forfaitaires sans avoir évalué les préjudices. D’où une réparation qui n’est pas à la hauteur de tous les préjudices subis. La CEDH l’a confirmé récemment pour un des camps, grâce à la persévérance d’un juriste fils de Harkis.

Bien sûr, on sait que certains préjudices sont irréparables : aucune somme ne rendra la vie aux bébés morts de froid, ni ne réparera des jeunesses volées par une politique de mise à l’écart.

Enfin, la loi ne concerne pas tous les Harkis alors que tous ont souffert des conséquences de l’abandon. Ceux abandonnés en Algérie et parvenus hors plan officiel de rapatriement, à fuir la prison et la torture, sont exclus de cette loi ce qui revient à une double peine.

3- Les actions pour la Mémoire

Dès le début, AJIR s’est fixé pour objectif de recueillir et préserver la mémoire des anciens Harkis et de transmettre leur histoire longtemps occultée parce qu’elle gênait la France, et gêne encore l’Algérie.

Elle embarrasse la France parce que c’est l’histoire d’une loyauté trahie, d’un abandon aux conséquences effroyables. Bien des militaires ont été marqués par l’abandon de leurs Harkis désarmés par ruse et livrés aux exactions et massacres pourtant prévisibles. Un général a déclaré : « Entre la discipline et l’honneur, j’ai choisi la discipline. Il m’en reste une blessure qui m’a ôté le repos »

Certains officiers ont désobéi pour sauver des Harkis mettant en pratique la belle devise des amiraux de Castille : « Plutôt mourir que d’abandonner un seul de nos hommes ».

Ce fût le cas du Général François Meyer, Président d’Honneur d’AJIR et également de nombreux chefs de SAS anonymes qui en sauvant des Harkis ont aussi sauvé un peu de l’honneur de la France et de son armée.

C’est pour cela que nous travaillons à la création d’une fondation pour la mémoire des Harkis et combattants indigènes de l’Union française. Cette demande de fondation est ancienne. Nous l’avons reprise et développée lors d’un colloque au Sénat en mars 2023 avec Denis Peschanski, Dominique Schnapper, Boris Cyrulnik et Antoine Carapon.

Aujourd’hui, une étude d’opportunité a été demandée par le Gouvernement au Contrôle général des Armées ce qui est un signe encourageant, s’inscrivant dans la volonté du Président de la République de regarder sans tabou les mémoires de la guerre d’Algérie pour les réconcilier par la vérité historique.

Cette fondation œuvrera à une meilleure connaissance de l’histoire des harkis et autres supplétifs indigènes, de la période coloniale dans laquelle elle s’enracine, des traumatismes et résiliences à la suite des déplacements forcés de populations.

Cette fondation sera une instance d’impulsion, de coordination et de facilitation de tous les projets allant dans le sens de sa mission.

Elle proposera des partenariats avec le Souvenir Français bien sûr, la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, le mémorial du camp de Rivesaltes, car ces structures seront complémentaires.

Cette fondation est aussi nécessaire que les Fondations concernant la Shoah ou la résistance. Pour éviter les réécritures. Pour transmettre.

En 2003, Germaine Tillion, illustre résistante, écrivait : « Harkis et résistants vont bien ensemble. » Et Pierre Brossolette, autre grand résistant, disait : « ‘Ce qu’ils attendent de nous ce n’est pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas un sanglot mais un élan ». Nous avons fait le serment de nous battre pour susciter cet élan national afin de créer une Fondation pour la mémoire des Harkis Un pas important a été fait avec l’étude demandée par le gouvernement il y a 9 mois. Mais les obstacles ne manqueront pas. Bercy objectera que la dette de notre pays n’incite guère au financement public de nouvelles fondations. Le Quai d’Orsay alertera, diplomatiquement, sur le risque qu’une fondation pour les Harkis déplaise au pouvoir algérien.

Sur cette seconde objection on répondra que les Gouvernants algériens ne cessent de dire que les Harkis sont un dossier franco-français ! A la France donc de s’occuper de cette composante de la nation française; de ces citoyens, français par le sang versé. Les relations entre la France et l’Algérie seront toujours ambivalentes, le pouvoir algérien ayant besoin d’accuser la France et la période coloniale pour détourner l’attention d’une gestion loin des promesses de lendemains qui chantent.

Pour l’objection sur le financement, la difficulté n’est pas de trouver quelques millions d’argent public sans augmenter le budget des

Anciens Combattants. La vraie difficulté sera de trouver les fonds privés.

Pour cela, nous comptons sur vous les associations patriotiques et les militaires, vous qui savez combien la France a une dette morale vis-à-vis des Harkis, vos frères d’armes. Nous comptons sur les régions, départements et communes où les familles de Harkis sont nombreuses.

Nous comptons sur les enfants de cette « communauté de destin » qui ont « bien réussi » et qui ne veulent pas que l’oubli ou les mensonges tuent une seconde fois leurs parents. Ils savent qu’une fondation pour la mémoire est la plus belle façon de combler leur absence et de défendre leur honneur contre les velléités de révisionnisme.

Certes, on sait qu’il reste des pessimistes à convaincre, des frileux à rassurer, des fonds à aller chercher. Ces obstacles renforcent notre détermination. Car se mobiliser pour une fondation mémorielle n’est pas un combat passéiste de nostalgiques. C’est, au contraire, un combat d’avenir car seule la vérité, connue et acceptée, peut apaiser les tensions entre les deux rives de la Méditerranée. C’est avec cette logique que le Président a pris plusieurs initiatives pour panser les mémoires blessées par la vérité recherchée et assumée.

En conclusion, AJIR est fière et honorée de l’excellente relation entre AJIR et le Souvenir Français.

Depuis sa création, les représentants départementaux d’AJIR pour les Harkis ont toujours entretenu des relations de respect mutuel et si possible de collaboration avec les délégués du Souvenir Français.

Le partenariat se traduit aussi par des actions concrètes : par exemple, le Souvenir Français a aidé des délégations régionales à financer leur drapeau.

Nous travaillons aussi avec le Souvenir Français sur la question de l’entretien de tombes d’anciens Harkis n’ayant plus de famille. Un autre dossier aussi délicat qu’important est celui de l’identification des lieux où ont été enterrés des jeunes enfants morts dans les camps, notamment à Rivesaltes et Saint Maurice l’Ardoise. Il s’agit de donner une sépulture décente à ces enfants et d’avoir un lieu digne où leurs familles puissent se recueillir. Ce travail a été fait par AJIR au camp de Bourg Lastic avec l’aide de l’Armée. Cela vient d’être fait cette semaine à Saint Laurent dans le Gard. Il faut aussi se hâter de le faire pour Rivesaltes.

Notre emblème, je l’ai dit est un olivier.

Un poète, Pierre-Albert Jourdan, a écrit à propos de cet arbre : « La ténacité de l’olivier. C’est comme un poing fiché en terre. Il a une mission. Il ne la lâchera pas. »

Comme le Souvenir Français, comme la Fondation pour la Shoah, AJIR ne lâchera pas sa mission qui inclut la création d’une fondation. Parce que les Harkis, eux aussi, par leurs sacrifices, ont des droits sur nous.