Le Conseil d’Etat (CE), a rendu, au cours du dernier mois de l’année 2024, quatre décisions (Ariane) dans des affaires de demande de réparation par les harkis. Les décisions qui présentent de nombreuses similitudes sont instructives.
Ces affaires résultent de requêtes déposées le 14 novembre 2017, de jugements de première instance rendus le 18 juin 2020, d’arrêts de cours administratives d’appel (CAA) du 7 mars 2023 et de décisions d’admission partielle des pourvois par le Conseil d’État du 14 février 2024. Sur ce dernier point, la haute juridiction reconnaît que les motifs des pourvois sont valables et méritent d’être examinés plus en profondeur.
Parmi les points communs de ces affaires figurent la défense assurée par le même cabinet d’avocats, la localisation des séjours des requérants au camp de Bias, ainsi que la condamnation de l’Etat aux dépens. Mais c’est surtout, leur antériorité à la loi du 23 février 2022 qui retiendra l’attention.
Ainsi, on notera que la singularité de ces affaires réside dans l’évaluation des sommes demandées (autour d’un million et demi d’euros) en réparation des préjudices subis. (entre 1 359 357,95 et 1 739 469.95 €)
Si les sommes demandées diffèrent, les motivations sont les mêmes: les 4 requérants demandaient la condamnation de l’État en réparation des préjudices subis du fait de l’absence de dispositions prises afin d’éviter ou de minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie, ainsi que du fait du manquement de l’État aux droits et libertés fondamentaux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans des camps et jusqu’à la date d’introduction de leur requête. Dès lors, il n’est pas surprenant que la Haute juridiction ait apporté dans ces quatre affaires les mêmes conclusions.
Le Conseil d’Etat estime que les dispositions de la loi du 23 février 2022 instituent un régime particulier d’indemnisation qui fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l’Etat puisse être recherchée au titre des mêmes dommages.
Il écarte ainsi la mise en cause de la responsabilité de l’Etat dans les instances engagées antérieurement devant les juridictions administratives en s’appuyant sur l’absence de dispositions transitoires. Dans le traitement de ces instances, il prône un retour à l’application des règles de droit commun, y compris le recours à la prescription quadriennale.
Pour les personnes qui ont saisi le tribunal administratif avant la loi de février 2022 et qui ont été déboutés, les requérants sont fondés à demander l’annulation des arrêts qu’ils attaquent en bénéficiant au passage de la prise en charge des dépens. Toutefois, après près de sept années de procédure, ils devront retourner vers la CAA et attendre encore un peu, avant de connaitre l’issue définitive de leurs affaires.
Ainsi, il subsistera toujours, un avant et un après l’entrée en vigueur de la loi du 23 février 2022 comme il y aura un avant et un après l’arrêt en avril 2024 de la Cour Européenne des Droit de l’Homme (CEDH). En effet, la loi de février 2022 a introduit un régime particulier d’indemnisation qui fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l’Etat puisse être recherchée au titre des mêmes dommages comme la CEDH est compétente pour connaître des griefs des requérants, en ce qui concerne les conditions de vie dans un camp d’accueil de harkis en France, qu’à compter du 3 mai 1974, date de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole n°1.
De même, la CAA aura à statuer sur le montant des préjudices ; il apparaît probable que les jurisprudences en la matière du Conseil d’Etat et de la CEDH fassent obstacles aux prétentions des requérants. Au vu des récents jugements, on comprend que les demandes de plus d’un million d’euros de réparation que font miroiter certains n’ont aucune chance d’aboutir.
Alors que nombre de parlementaires s’accordent à reconnaitre que la loi de février 2022 est imparfaite et que l’Etat français tarde à une application globale de l’arrêt de la CEDH, il serait sans doute plus efficace de demander la modification de la loi, en l’étendant à toutes les familles de Harkis, avec une réparation basée sur les recommandations de la CEDH.