Le Président d’AJIR à l’Assemblée Nationale

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Mohand Hamoumou, Président national d’AJIR, a été auditionné par la Commission Défense de l’Assemblée Nationale le jeudi 4 novembre 2021. Ci-dessous la déclaration de Mohand Hamoumou devant les député(e)s de la commission (seul le prononcé fait foi)

Madame  la Présidente,  Mesdames, Messieurs les députés

En préambule, permettez-moi quelques éléments pour situer à quel titre j’ai honneur de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je suis Président d’AJIR pour les Harkis, Association Justice, Information, Réparation, qui fédère plus de 30 associations  dans 40 départements. Je parle au nom de ces 30 associations adhérentes à AJIR et de leurs 1150 adhérents.

Aucun de nous 4 ici présents, ni aucune autre personne,  ne peut prétendre parler au nom de l’ensemble des Harkis de France. Mais nous essayons tous les 4 de parler dans l’intérêt de tous.

Ce moment est l’aboutissement d’une démarche engagée il y a 9 mois. AJIR avait demandé en février un rendez-vous avec le Président de la République car nous n’étions pas satisfaits du rapport Stora qui passait les Harkis sous silence. Nous avons été reçus longuement le 10 mai à l’Elysée. J’avais préalablement remis une note expliquant l’importance d’une loi de réparation. Le discours du 20 septembre et ce projet de loi en sont une suite.

Nous allons prêter notre voix à ceux qui ne peuvent s’exprimer car ils sont morts où qu’ils n’auront pas l’occasion de s’exprimer devant vous. Mais nous regrettons un manque de vraie concertation. Nous avons été consultés mais pas associés à la rédaction de ce texte que nous avons découvert seulement cette nuit.

Ce projet de loi est un texte très important, pour les Harkis et  pour  le pays. 

Je vais en quelques minutes, en souligner d’abord l’importance et l’originalité, puis pointer des manques et des imprécisions ; enfin vous soumettre des pistes d’amélioration pour limiter les déceptions.

D’abord son importance. Cette loi  grave dans le marbre d’une loi la responsabilité de l’Etat vis-à-vis des Harkis. Les 3 Présidents  précédents, de droite comme de gauche, ont reconnu, plus ou moins explicitement, l’abandon des Harkis et les conditions indignes d’accueil de ceux arrivés en métropole. Mais aucun ne l’avait acté dans une loi. Le Président actuel a eu ce courage. Comme celui de demander pardon aux Harkis abandonnés.

Cela permet de passer de la solidarité à la réparation, du social à la justice. Ce qui est demandé depuis longtemps.

Ainsi (pour) la réparation ce qui sera accordée ne sera pas un cadeau mais un dû, un droit, en compensation des dommages subis. Quel que soit le montant, il restera symbolique car  aucune indemnisation financière ne peut réparer certaines souffrances ni les rêves brisés.  Dalila vous parlera de la vie au camp de Bias.

Les Harkis ne quémandent rien; ils demandent simplement une juste réparation des préjudices et traumatismes subis  à cause de l’attitude irresponsable des représentants de l’Etat.

Important, ce texte de loi l’est aussi pour notre République toute entière. En reconnaissant sa responsabilité, et en payant sa dette,  elle renoue avec ses valeurs d’égalité et de fraternité.

Ensuite, il faut souligner des manques et imprécisions 

La réparation suppose un ou des préjudices à réparer et un responsable du dommage. Ce qui est fait ici.

Mais la responsabilité reconnue n’est pas complète. Elle se limite au « délaissement »  dans les structures de relégation où ils furent coupés des autres citoyens, enfermés, cachés comme pour ne  plus voir ceux dont la présence rappelait les promesses de protection bafouées, les valeurs républicaines piétinées,  les Droits de l’Homme oubliés.

La responsabilité quant au refus de rapatrier,  ou de porter assistance à ceux qui étaient menacés, cette responsabilité-là, reconnue par tous les Présidents, attestée par les télégrammes des 12 et 16 mai 1962, n’est pas dans la loi. Elle est importante car après le cessez-le-feu, qui ne cessa que d’un côté, les personnes emprisonnées qui purent regagner la métropole sont rarement passées par les camps. N’ont-elles pas, elles aussi, droit à réparation ? Serge l’a illustré avec émotion.

Les préjudices visés par cette loi se limitent à la privation de liberté et à l’inégalité des chances pour les enfants scolarisés en vase clos. On aurait pu y ajouter des atteintes à la dignité, voire la spoliation d’une partie de leurs allocations. Ces préjudices ont le mérite d’être faciles à identifier : passage ou non par ces structures. Ils sont réels même si ils diffèrent entre les camps  et les Hameaux. Pour autant on ne peut pas par équité considérer, à priori, que les personne non passée par les camps n’ont pas subi de traumatisme. Il y a eu en France des assassinats de Harkis, du racket, plusieurs années après 1962. Et faute d’aide, beaucoup vécurent dans des logements plus insalubres et aussi ghettos que les hameaux de forestage. Qui dit réparation dit évaluation des préjudices pour tous, presqu’au cas par cas, ou par grande catégorie. Cela doit être le rôle de la commission nationale dont on ne sait rien hélas.

Pour conclure, quelques pistes d’améliorations et rappels des demandes des associations et personnalités adhérentes à AJIR :

  1. Priorité absolue aux anciens, la  génération qui a pris des risques et souffert du déracinement, comprenant les supplétifs, et leurs épouses, incluant veuves ou femmes divorcées.
  2. Faire de la commission une vraie commission d’évaluation des préjudices. Tous les parents et les enfants, qu’ils soient passés par un camp ou non, doivent pouvoir s’ils le souhaitent présenter leur cas devant cette commission qui décidera s’il y a un préjudice avéré en lien avec l’abandon ou le délaissement. Cette commission ne doit pas se cantonner à recueillir des récits de vie. Cela l’Onac ou le Mémorial de Rivesaltes le font déjà
  3. Introduire dans la loi le terme abandon. Entre avril et Octobre c’est  bien un abandon qui est décidé avec  un rapatriement de tous Français Musulmans menacés, ni prévu, ni voulu.
  4. L’Etat ne doit plus opposer la prescription quadriennale. Cette loi doit prévoir que toute personne qui aura reçu une proposition de réparation disposera d’un délai de 2 ou 3 ans pour saisir les tribunaux.
  5. L’allocation de reconnaissance doit être doublée  et portée  à 500 euros par mois, pour les supplétifs vivants et leurs veuves le cas échéant.
  6. Pour les enfants qui sont restés longtemps dans les camps, souvent sans formation, et qui de ce fait n’ont pas toujours trouvé du travail, il conviendrait d’aider au rachat des trimestres manquants
  7. Le Fonds social actuel, parce que social, doit être basé sur des critères sociaux et non de passage par les camps
  8. Un comité d’histoire devrait être constitué au sein d’une fondation pour l’histoire et les mémoires des Harkis au sens générique du terme.
  9. Les familles d’anciens Harkis restés en Algérie et  qui souhaitent venir en France voir leur famille, doivent avoir des visas en priorité

En conclusion, il faut rappeler aussi  que s’il n’y a pas eu encore de réparation au sens de cette loi, il y a eu des aides sociales et des gestes de reconnaissance. Ainsi, la réparation n’implique pas de tomber dans la « surenchère victimaire » ou l’apitoiement.  Car la grande majorité des Harkis et leurs enfants, à force de travail, ont des situations normales et parfois enviables. Mais la réussite des enfants – grâce aux sacrifices des parents – n’efface pas les préjudices subis et donc le droit à réparation quelle que soit leur situation.

Pour terminer, j’espère Mesdames Messieurs que vous convaincrez tous vos collègues de ne pas faire de cette loi un sujet de polémique politicienne.  Il s’agit d’une dette morale de la Nation. C’est ensemble qu’il faut l’assumer et l’honorer. Parce, pour paraphraser Clémenceau, « les Harkis ont des droits sur vous ».

Il est des lois qui doivent transcender les oppositions partisanes, même en période électorale.  
Il est des lois qui doivent être votées en tant que citoyen et non en tant que militant.
Cette loi est (de) celles-là, de celles qui redonnent de la fierté  et un supplément d’âme à notre République.

Merci pour votre écoute.